vendredi 1 avril 2011

Pour Evy

Ton billet m'a beaucoup touchée, je l'ai trouvé vraiment ancré dans la réalité. J'ai pensé partager mon expérience...

Je suis une petite fille aux taches de rousseurs, aux cheveux trop longs, trop raides, trop bruns pour être remarquée. Je suis timide. J'arrive dans cette nouvelle région où les gens parlent parfois avec des mots que je ne comprends pas. Moi, qui ne fais pas d'amies facilement, je dois maintenant me lier d'amitié. J'ai 9 ans, je suis en quatrième année.

Je suis bonne à l'école. J'ai de bons résultats, je ne lève pas souvent la main pour donner la réponse, même si je la connais la plupart du temps. J'aime lire, j'aime les Canadiens de Montréal. Je ne m'habille pas très bien, je suis trop maigre, j'ai les dents croches.

Je vis avec mes parents dans cette nouvelle maison à la campagne. Je suis chanceuse. Mes parents sont à la maison tous les deux à 16 heures 30. Je me chicane souvent avec ma petite soeur, mais je l'aime beaucoup. Elle est en première année et elle n'a pas de misère à se faire des amies. J'aime jouer aux cartes en famille, au Rummy et à Quelques Arpents de piège. J'adore mes parents. C'est sévère chez nous, mais ça ne me dérange pas vraiment.

Mon plus grand cauchemar, c'est d'être toute seule à l'école. Je me "tiens" donc avec Manon, Adrena et Anick. Ce sont les seules qui me parlent. Mais entre elles, elles parlent surtout anglais. Je ne comprends pas, mais ce n'est pas grave, au moins je ne mange pas toute seule à la cafétéria.

Anick me vole toujours mon lunch. Elle prend mon sandwich et mon dessert. Au moins il me reste mon fruit. À la récré, Anick aime me pousser dans la clôture. Les deux autres se placent à côté d'elle et elles me regardent en disant des choses en anglais que je ne comprends pas. Elles trouvent ça bien drôle. Des fois, elles me donnent des coups de pied sur les tibias et des coups de poing dans le ventre. Je pense qu'elles aiment ça quand je me mets à pleurer parce qu'elles rient beaucoup. Ça ne me fait pas vraiment mal, mais je n'aime pas ça.

Je pourrais aller voir une surveillante. Lui raconter ce qu'elle fait. Mais je ne suis pas une rapporteuse. Et puis, je n'aurais plus d'amies si je le faisais.

Je suis maintenant en sixième année. Ce n'est plus Anick ni Manon. Anick a doublé sa quatrième pour la troisième fois. Et Manon a changé d'école parce que tout le monde a appris que son frère abusait d'elle. Mes amies maintenant, c'est encore Adrena, c'est Marie-Claude, c'est Nathalie. Elles ne me parlent plus en anglais. Elles trouvent ça drôle de me pousser. Elles aiment rire de moi. En classe, c'est plus facile, car je suis en 5 et 6 - une classe avec des 5e et des 6e années. On est seulement 6 de sixième et je suis assise avec Etienne, il est très gentil avec moi. Je fais ses exercices de mathématiques et il me laisse copier ses notes parce que je n'arrive pas à voir au tableau. J'ai besoin de lunettes, mais je ne veux pas le dire à mes parents. Je pense que si je porte des lunettes, on va rire de moi encore plus.

Marie-Claude ce qu'elle aime faire c'est me tirer les cheveux et me pincer. Elle est beaucoup plus grande que moi.

Je pourrais le dire à mes parents, mais que pourraient-ils faire? Ça rendrait les choses pires. Quand on bavasse, c'est pire. De toute façon, je pense que je dois m'habituer... ça fait trois ans. Peut-être qu'au secondaire l'an prochain, ça va être différent. J'en doute... mais bon.

****
J'ai 36 ans aujourd'hui, et mes 3 dernières années de primaire, mes 2 premières années de secondaire me hantent encore. J'ai fait la paix avec beaucoup de choses, mais je sais que certains traits de ma personnalité sont causés par cette époque.

Je n'ai jamais parlé de ça à un adulte enfant. Ni mes parents, ni mes professeurs. Personne ne s'est jamais douté de ce que je vivais. Pourtant, j'étais entourée de parents impliqués qui m'aiment. D'excellents parents. Ils n'ont rien vu parce que ça n'a pas paru. À cet âge, notre caractère est en train de se former. C'est normal qu'on ne remarque pas vraiment les changements.

J'en ai parlé à ma mère adulte. Elle n'en revient pas. Elle s'en veut de n'avoir rien vu, rien fait. Mais que pouvait-elle voir? Je ne lui ai rien montré. Je ne voulais pas qu'elle sache.

***
Evy, il y aura toujours de ces femmes qui ont toutes les réponses et qui pensent que tout se passe selon ce qu'elles ont décidé. C'est comme ça jusqu'au jour où ça ne l'est plus. Ce sera tout un coup pour elles. À force de croire que tout est sous contrôle, on relâche sa prudence et son gros bon sens.

Heureusement pour tes enfants, tu es lucide. TRÈS. Et tu ne joue pas le jeu de la perfection. Je suis certaine que ça fait de toi une meilleure mère. Et de mon point de vue, une personne beaucoup plus intéressante.

2 commentaires:

cryzal a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Evyzamora a dit…

Ça me touche énormément....tu sais, mes peus à moi aussi remonte à ce primaire où j'ai été séparée des quelques amis que j'avais par une prof. un peu trop zélé et à ce début de secondaire où j'ai fait confiance à cette meilleure amie qui s'est servie de ma tête pour se remonter....et comme toi, je crois que j'ai des traits de personnalités qui ont été de beaucoup influencé par cet époque....
Ta conclusion me touche beaucoup, merci :)